Corpus de textes 2 : La mort en la poésie

« Demain dès l’aube », in Les Contemplations, V. Hugo

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,

Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.

J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.

Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

-

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

-

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,

Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe

Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

« Aux trois aimés », in Bouquets et prières, M. Desbordes-Valmore

De vous gronder je n'ai plus le courage,

Enfants ! ma voix s'enferme trop souvent.

Vous grandissez, impatients d'orage ;

Votre aile s'ouvre, émue au moindre vent.

Affermissez votre raison qui chante ;

Veillez sur vous comme a fait mon amour ;

On peut gronder sans être bien méchante :

Embrassez-moi, grondez à votre tour.

-

Vous n'êtes plus la sauvage couvée,

Assaillant l'air d'un tumulte innocent ;

Tribu sans art, au désert préservée,

Bornant vos voeux à mon zèle incessant :

L'esprit vous gagne, ô ma rêveuse école,

Quand il fermente, il étourdit l'amour.

Vous adorez le droit de la parole :

Anges, parlez, grondez à votre tour.

-

Je vous fis trois pour former une digue

Contre les flots qui vont vous assaillir :

L'un vigilant, l'un rêveur, l'un prodigue,

Croissez unis pour ne jamais faillir,

Mes trois échos ! l'un à l'autre, à l'oreille,

Redites-vous les cris de mon amour ;

Si l'un s'endort, que l'autre le réveille ;

Embrassez-le, grondez à votre tour !

-

Je demandais trop à vos jeunes âmes ;

Tant de soleil éblouit le printemps !

Les fleurs, les fruits, l'ombre mêlée aux flammes,

La raison mûre et les joyeux instants,

Je voulais tout, impatiente mère,

Le ciel en bas, rêve de tout amour ;

Et tout amour couve une larme amère :

Punissez-moi, grondez à votre tour.

-

Toi, sur qui Dieu jeta le droit d'aînesse,

Dis aux petits que les étés sont courts ;

Sous le manteau flottant de la jeunesse,

D'une lisière enferme le secours !

Parlez de moi, surtout dans la souffrance ;

Où que je sois, évoquez mon amour :

Je reviendrai vous parler d'espérance ;

Mais gronder... non : grondez à votre tour !

« La Mort de Philippe II », in Poèmes Saturniens, P. Verlaine (extrait)

Le moine ensuite dit les formules sacrées

Par quoi tous nos péchés nous sont remis, et puis,

Prenant l'Hostie avec ses deux mains timorées,

-

Sur la langue du Roi la déposa. Tous bruits

Se sont tus, et la Cour, pliant dans la détresse,

Pria, muette et pâle, et nul n'a su depuis

-

Si sa prière fut sincère ou bien traîtresse.

- Qui dira les pensers obscurs que protégea

Ce silence, brouillard complice qui se dresse ?

-

Ayant communié, le Roi se replongea

Dans l'ampleur des coussins, et la béatitude

De l'Absolution reçue ouvrant déjà

-

L'oeil de son âme au jour clair de la certitude,

Epanouit ses traits en un sourire exquis

Qui tenait de la fièvre et de la quiétude.

-

Et tandis qu'alentour ducs, comtes et marquis,

Pleins d'angoisses, fichaient leurs yeux sous la courtine,

L'âme du Roi montait, sereine, aux cieux conquis,

-

Puis le râle des morts hurla dans la poitrine

De l'auguste malade avec des sursauts fous :

Tel l'ouragan passe à travers une ruine.

-

Et puis plus rien ; et puis, sortant par mille trous,

Ainsi que des serpents frileux de leur repaire,

Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux.

-

- Philippe Deux était à la droite du Père.

Dédicace de Faust, Goethe (trad. Gérard de Nerval)

Venez, illusions !… au matin de ma vie,

Que j’aimais à fixer votre inconstant essor !

Le soir vient, et pourtant c’est une douce envie,

C’est une vanité qui me séduit encor.

Rapprochez-vous !… C’est bien ; tout s’anime et se presse

Au-dessus des brouillards, dans un monde plus grand,

Mon cœur, qui rajeunit, aspire avec ivresse

Le souffle de magie autour de vous errant.

-

De beaux jours écoulés j’aperçois les images,

Et mainte ombre chérie a descendu des cieux ;

Comme un feu ranimé perçant la nuit des âges,

L’amour et l’amitié me repeuplent ces lieux.

Mais le chagrin les suit : en nos tristes demeures,

Jamais la joie, hélas ! n’a brillé qu’à demi…

Il vient nommer tous ceux qui, dans d’aimables heures,

Ont, par la mort frappés, quitté leur tendre ami.

Cette voix qu’ils aimaient résonne plus touchante,

Mais elle ne peut plus pénétrer jusqu’aux morts ;

J’ai perdu d’amitié l’oreille bienveillante,

Et mon premier orgueil et mes premiers accords !

-

Mes chants ont beau parler à la foule inconnue,

Ses applaudissements ne me sont qu’un vain bruit,

Et, sur moi, si la joie est parfois descendue,

Elle semblait errer sur un monde détruit.

-

Un désir oublié, qui pourtant veut renaître,

Vient, dans sa longue paix, secouer mon esprit ;

Mais, inarticulés, mes nouveaux chants peut-être

Ne sont que ceux d’un luth où la bise frémit.

Ah ! je sens un frisson : par de nouvelles larmes,

Le trouble de mon cœur soudain s’est adouci.

De mes jours d’autrefois renaissent tous les charmes,

Et ce qui disparut pour moi revit ici.

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